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Les plus beaux poèmes d’amour
de Jean-Paul Sermonte choisis par Julie Lévy
Jean-Paul Sermonte est le poète de l’émotion ; tout au long des pages de ses livres, il continue de nous émouvoir et de nous séduire. On retrouve dans ces poèmes à l’écriture lumineuse, sa tendresse, sa sensualité, sa mélancolie, ses inquiétudes et ses certitudes mystiques.
Il chante l’amour, ses ivresses et ses ruptures avec une telle sensibilité que certains poèmes méritent de figurer dans les grandes anthologies de la poésie amoureuse.
Martin Gray
Extrait de la voix du vent
Nous nous serrions très fort. Nous avions eu si froid d’avoir vécu si longtemps l’un sans l’autre. Un grand amour ne fait pas se rencontrer les êtres, il les fait se reconnaître. Quelle sensation étrange : cet inconnu que l’on voit pour la première fois ; nous nous souvenons pourtant de l’avoir déjà aimé. En quel temps lointain, en quel mystérieux pays ? Seul notre amour peut en connaître le secret. L’amour possède une mémoire qui se joue des nuits et des temps. Qui se joue de l’oubli des destinées qui naissent, s’achèvent et renaissent parfois dans l’ignorance de leur propre immortalité. Lorsque nous croisons notre amour, nos premiers regards s’interrogent tout en se reconnaissant. Notre cœur demande : "qui es-tu ?" alors que notre âme s’exclame : "enfin te voilà !" le mystère de l’âme réside dans le mystère de l’amour. Comprendre l’un, c’est découvrir l’autre. Notre vie a-t-elle suffisamment de temps pour que nous puissions contempler l’existence entière d’une étoile ?
Cette étoile qui vous attire, vous l’avez vue naître avant votre naissance, vous l’admirez après votre départ terrestre. L’amour est semblable à cette étoile. Le temps d’une simple vie ne peut lui imposer ses limites : il existait avant, il vivra après, car ceux qui s’aiment gardent leurs doigts enlacés au-dessus des siècles.
Rencontre
Laissez-moi je vous prie revivre un jour
Le premier jour de mon premier amour
Quand je la vis apparaître parmi
Ces étrangers qui se disaient amis.
Je l’ai reconnue à son vert regard
Et j’ai su, je ne crois pas au hasard
Que c’était elle que j’avais aimée
Un jour, une vie il y a longtemps…
Mémoire aux souvenirs trop clairsemés
Seul son regard a su défier le temps.
Elle s’est assise en face de moi
Ses yeux souriaient étonnés un peu
S’était-elle aperçue de mon émoi
Nous avait-elle reconnus tous deux ?
Douceur qui suscite tant de tourments
Jeunesse qui nous fait vieillir d’efforts
Regard menteur mais qui jamais ne ment
Bonheur qui nous fait souhaiter la mort
Je l’aimais déjà, déjà j’avais mal
L’amour phénomène phénoménal
Ressuscitait mon cœur à la folie
Douce folie que l’on nomme la vie.
Ce que j’avais vécu avant ce jour
N’était qu’un pâle reflet de l’Amour.
Le grand Amour est un pays nouveau
Sans issue sont les chemins qui y mènent
C’est si court mon Dieu une vie humaine
Pour un tel pays c’est dix vies qu’il faut.
Laissez-moi je vous prie revivre un jour
Le premier jour de mon premier amour
Ma souffrance n’aurait jamais eu tort
De me faire attendre ainsi la mort
Si je n’avais vécu l’instant béni
Où j’ai su en la voyant apparaître
Que l’amour subsiste au temps et aux êtres.
L’Amour existe et il est infini !…
Notre amour
Il est né un quatre décembre
Et sous les cieux couleur de cendre
Ce fut comme un éclat d’azur.
Ce fut notre plus belle offrande
Quant à cet instant de légende
Le lys s’unit au lierre obscur.
En le voyant pâle et fragile
Quelques médisants imbéciles
Dirent : « Jamais il ne vivra » !
Mais tu étais si attentive
Et nos cœurs sur la défensive
Veillèrent sur ses premiers pas.
Ô mon enfant, ô mon amour
Tu vins à moi du fond des siècles
Parfois moineau et parfois aigle
Tu es le soc et le labour.
Tu es l’alcyon triomphant
Tu vins à moi du fond des âges
Faiseur d’étoiles et d’orages
Ô mon amour, ô mon enfant.
Il a grandi sous les averses
Des idées et des controverses
Adonis fier et sensuel.
Il épuisa son énergie
Moins à la messe qu’aux orgies
Parfois trop doux parfois cruel.
Dans les bouges et les églises
Quand l’existence fut trop grise
Il rechercha le vieil Éden.
Il s’inventa des sœurs des frères
Anémiant sa jeunesse altière
Entre un soupir et un amen.
Il exorcisa dans l’errance
Son humaine désespérance
Avec amantes et amants.
Puis, lassé par ses tours du monde
Par le sublime et par l’immonde
Il s’est assagi doucement.
Un soir au coin d’une rue sombre
Un enfant surgissant de l’ombre
S’approcha et avec douceur
L’adolescent brûlant de fièvre
Colla sa bouche sur ses lèvres
Et le poignarda en plein cœur.
Il mourut ainsi dans l’eau sale
Dans la fange dans le scandale
Lui notre prince éblouissant.
Et nous étions là tête basse
Car il y avait ô disgrâce
Sur nos mains un peu de son sang.
Et après sa mort le silence
Nous sépara sans violence
Comme deux pauvres tragédiens
Nous connûmes la solitude
Et vaincus par la lassitude
Le marasme du quotidien.
Un jour d’automne et de lumière
Je te revis au cimetière
Tu allais pleurer notre enfant.
Nous avons marché sans rien dire
Mais je pensais dans mon délire
Je l’aime encor plus fort qu’avant.
Nous avons parcouru ensemble
L’allée des cyprès et des trembles
Qui menait jusqu’à son tombeau.
Mais là, près de la pierre grise
Quelle ne fut notre surprise
D’y voir un inconnu très beau.
Dieu comment était-ce possible ?
Cet être au sourire paisible
Et au doux visage émacié
C’était lui, assis sur sa tombe.
Un corbeau mort et deux colombes
Étaient déposés à ses pieds.
Et notre enfant voyant nos larmes
Nous dit : « Que cessent vos alarmes
Je vivrai avec vous encor
Car la mort n’est pas immortelle
Et l’on enterre sous les stèles
Non pas une âme mais un corps.
Si au temps de votre folie
Vous avez cru m’ôter la vie
Sachez aujourd’hui pour toujours :
– Ce qui meurt sans pouvoir revivre
N’est même pas digne de vivre
Et je vis car je suis l’amour » !
Ô mon enfant, ô mon amour
Tu vins à moi du fond des siècles
Parfois moineau et parfois aigle
Tu es le soc et le labour
Tu es l’alcyon triomphant
Tu vins à moi du fond des âges
Faiseur d’étoiles et d’orages
Ô mon amour, ô mon enfant.